Maurice Journeau et l'Espagne

Maurice Journeau est né en 1898 à Biarritz, une station balnéaire du Pays basque français. Sa ville natale était ainsi très proche du Pays basque espagnol, permettant à la famille du compositeur de s'y rendre aisément. En outre ses parents avaient dû résider à Saint-Sébastien, une autre station balnéaire élégante mais située au Pays basque espagnol, pendant plusieurs années de 1903 à 1907. Ce qui explique sa pratique de la langue espagnole dès son plus jeune âge à l'école et ailleurs. Une langue qu'il emploiera encore plus tard avec une grande aisance, de même que l'Anglais et l'Allemand.

Après cette période espagnole sa famille revint à Biarritz. Ce qui permit au jeune Maurice d'étudier le piano avec l'organiste de l'église Sainte-Eugénie, Mlle Paris, un professeur très estimé des familles de la ville. Et aussi d'entendre de nombreux concerts de qualité lui donnant une très forte envie d'écrire sa propre musique personnelle.

Biarritz devint ainsi le lieu d'écriture de quelques très petits essais d'adolescence, puis de ses premières oeuvres notables conçues après la première guerre mondiale et grâce à ses études de composition à l'Ecole Normale de Musique de Paris. C'est dans sa ville natale qu'il composa des oeuvres déjà marquantes comme sa "Valse" op.2 pour piano, le "Matin" op.3 pour orchestre, ses deux premières Sonatines pour piano, la romantique "Sonate pour piano et violon" op. 6, le "Trio pour piano, violon et violoncelle" op. 7 et aussi ses "Nuits basques" pour violon et piano op. 9 inspirées par son profond attachement à sa région natale.

Maurice Journeau ne voulut jamais faire de la musique une profession. Il voulait seulement composer et en totale liberté, ce fut la joie de toute sa vie. Il resta donc inconnu en tant que compositeur indépendant en-dehors du monde musical.

Sa musique est considérée à l'étranger comme une musique bien française, bien typique de sa personnalité. Mais la période d'enfance laisse toujours sa marque sur nous tous, y compris sur Maurice Journeau… avec les deux Pays basques, français et espagnol. A Biarritz, selon lui, sa jeunesse baignait dans "un certain air du temps" (pour reprendre ses mots) "extrêmement fort au Pays basque, imprégné des oeuvres de Ravel". Cette atmosphère selon lui avait un peu influencé ses premières oeuvres au début, mais il avait vite voulu prendre son propre chemin. Néanmoins, jusqu'à sa mort en juin 1999 il conserva toujours du respect et une grande admiration envers Maurice Ravel (son aîné de 23 ans qu'il ne rencontra jamais), le considérant comme le compositeur "le plus grand" de tous.

Chacun d'eux avait subi l'influence espagnole et basque, Maurice Ravel par sa mère, Maurice Journeau par ses années d'enfance en Espagne et sa proximité ensuite avec ce pays. On sent cette influence dans sa 2e "Nuit Basque", la "Nuit d'automne" au style sémillant, évoquant Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, deux lieux très aimés de lui. On la ressent aussi dans son impressionnante "Passacaille" pour orchestre de 1958 écrite à Paris, une oeuvre où le rythme du tambour basque s'impose au défilé de rue populaire vu par lui à Saint-Jean-de-Luz, souvenir d'enfance remontant à l'âge adulte. Et l'on peut même remarquer que lors de la période de Nice il y a quelque chose de sémillant, presque espagnol, dans l'évocation par le violon du joli village de Sospel en novembre 1935.

Le Pays basque français et espagnol, la Côte d'Azur à Nice, le 8e arrondissement de Paris furent des lieux où les influences variées, les rencontres, les souvenirs sous-jacents, l'affection familiale sont en filigrane dans les oeuvres de Maurice Journeau. Et combien les artistes savent discerner le "moi profond" de leurs auteurs à première vue d'une partition… C'est fascinant !

(Chantal Virlet, 1er juin 2025)